En 2008, 139 mutuelles de santé ont disparu, soit par fusion entre elles, soit par dissolution. Il y avait donc 966 mutuelles relevant du Code la mutualité (Livre II) à la fin 2008 – contre 1070 en 2007 et plus de 7000 avant 2001. Ce phénomène de regroupement s’explique à la fois par une concurrence accrue, la montée en puissance des contrats de groupe , qui exigent une plus grande surface financière et la mise en œuvre de réglementations issues des directives européennes demandant des fonds de réserve beaucoup plus importants qu’auparavant. Ce mouvement de concentration touche également les organismes du livre III (pharmacies, cliniques, dispensaires etc.) dont le nombre est passé de 709 à 667 entre 2007 et 2008.
Les plus fins analystes ne prévoient la survie que de 20 mutuelles dans 20 ans. Nous assistons donc à la mutation d’un mouvement issu de plus d’un siècle de conquêtes syndicales . C’est le 21 mars 1884, que la Loi Waldeck-Rousseau relative à la création de syndicats professionnels permit par son article 6 la création de caisses spéciales de secours mutuels et de retraites. Ainsi toute une série de conquêtes syndicales et sociales put substituer le droit à l’assistance, la dignité à la charité. La transposition d’une directive européenne sur les assurances de 1993 dans le code de la Mutualité est venue mettre un terme aux possibilités données aux travailleurs de gérer par eux-mêmes ,grâce à la solidarité, l’échange et la réciprocité leur santé et leur retraite.
Un des articles de la directive de 1993 ,exigea en effet , que les organismes « d’assurance » agréés « limitent leur objet social à l’activité d’assurance et aux opérations qui en découlent directement ». La directive européenne s’opposa à ce que l’adhérent reçoive en nature, ce qui était habituellement accordé en espèces. En clair, cela signifia que les Mutuelles ne pourraient plus fournir de la même manière qu’auparavant des prestations sociales telles que les allocations d’invalidité de naissance, de décès, d’orphelinat, de handicap, de dépendance, etc., pas plus que gérer des établissements sanitaires et sociaux, des centres médicaux, des cliniques, des maisons de retraite médicalisées.
Le modèle solidaire mutualiste reposait sur cette redistribution des cotisations en prestations et sur l’équilibre entre activités d’assurance et activités d’œuvres sociales. La mutualité, telle que nous la connaissions en France, était un modèle unique en Europe: les 6.000 mutuelles françaises (à but non lucratif) qui comptaient 25 millions d’adhérents assuraient ensemble 60% de la couverture maladie complémentaire dans les années 90. Elles étaient regroupées au sein de la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF) et de la Fédération des Mutuelles de France (FMF). Un tel “marché” ne pouvait qu’attirer les assureurs privés ,qui ne manquèrent pas de faire un intense lobbying auprès de la Commission de Bruxelles, mais aussi du Sénat et du ministère des finances français, pour que la Mutualité s’aligne sur le modèle assurantiel.
Les gouvernements de droite ou de gauche, qui se succédèrent depuis 1992, organisèrent les différentes modifications de la réglementation sur les assurances de façon à introduire officiellement dans les textes une reconnaissance de certains aspects de la mutualité. Mais, la réalité consista en fait , à aligner peu à peu, le Code de la Mutualité sur celui des assurances. Lionel Jospin, confia à Michel Rocard et à ses conseillers une mission pour « trouver les voies d’une solution respectueuse du droit communautaire et des intérêts de la Mutualité française ». Les directives européennes de 1992 concernaient les ” entreprises d’assurance “. Il restait pour la France à définir cette notion.
La France a choisi à cette époque, à la demande de la FNMF ,de faire figurer les mutuelles relevant du code de la mutualité parmi les ” entreprises d’assurance ” au sens européen. M. René Teulade, alors président de la Fédération nationale de la Mutualité française, avait souhaité ce choix ” osé “, selon l’expression de M. Lionel Jospin le 8 juin 2000 (discours d’ouverture du 36ème congrès de la FNMF). Les organismes habilités en France à intervenir dans le domaine de la protection complémentaire dépendaient de trois systèmes juridiques différents : – les organismes d’assurance relevant du code des assurances : le code des assurances impose aux entreprises d’assurance françaises d’être constituées sous forme soit de société anonyme, soit de société d’assurance mutuelle (à ne pas confondre avec les mutuelles du code de la mutualité); – les institutions de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale ; – les mutuelles relevant du code de la mutualité.
Les directives posaient un principe de ” spécialité externe ” qui rendait l’activité d’assurance incompatible avec tout autre ” activité commerciale “. La définition d’une activité commerciale en droit européen est plus large que celle d’une activité lucrative en droit français : ” ce n’est pas le caractère lucratif qui prévaut mais le fait que cette activité puisse entrer en concurrence avec d’autres entreprises ayant une activité commerciale au sens classique “. C’est officiellement au nom de la défense des consommateurs en bisbille avec leur mutuelle et qui allaient chercher de la juriceprudence à l’échelle européenne que Michel Rocard proposa d’accélérer l’adaptation des statuts des mutuelles aux directives européennes. En effet en 1999, une association d’ultra-libéraux désireuse de détruire le modèle social français au nom de la concurrence libre et non faussée croisa le fer contre la mutualité au niveau européen. La Commission européenne publia alors un communiqué annonçant la poursuite de la France devant la Cour de Justice des Communautés européennes, au motif qu’elle n’avait pas encore appliqué aux mutuelles les directives relatives à l’Assurance. Parallèlement les assureurs multiplièrent les recours devant les tribunaux administratifs dès qu’une mutuelle créa une œuvre sociale (clinique, pharmacie, centre optique,…).
Le lobby des assureurs fit le siège du ministère des finances pour qu’il mette un terme à l’exception fiscale dont bénéficiaient les mutuelles, qui, selon lui, entraînerait une distorsion de concurrence. Martine Aubry annonça qu’elle préparait un projet de loi destiné à aider les mutuelles à s’adapter à leur nouvel environnement économique européen : « Les mutuelles doivent s’adapter. Nous sommes convaincus que la défense auprès de Commission européenne des avantages comparatifs des mutuelles ne passe pas par l’inertie ou le repli sur soi » a-t-elle déclaré devant 2.000 mutualistes réunis pour fêter le centième anniversaire de la charte de la Mutualité. Au Sénat, ce fut bien pire encore. Le sénateur de l’Orne, Alain Lambert, président de la commission des finances du Sénat, dénonça dans un rapport de 200 pages les distorsions de concurrence et la place trop grande de certains acteurs comme les mutuelles en complémentaire maladie. Entre autres mesures, le rapport préconisait la démutualisation, comme cela s’est passé au Royaume-Uni : « Il convient de s’interroger sur l’opportunité d’autoriser la transformation des sociétés d’assurance mutuelle en sociétés de capitaux, ce qui permettrait de lever des fonds plus facilement pour f
inancer leur croissance et faire face à la compétition internationale ». Notons que le rapport Lambert recommandait aussi la création de fonds de pension.
C’est en 2001 qu’accoucha un nouveau code de la mutualité transposant les fameuses directives européennes. On assiste en 2009 au résultat du choix « osé » de René Teulade et de toute la Nouvelle Gauche : la marchandisation de la complémentarité santé aboutie à la création d’un monopole. La disparition des mutuelles, leur concentration, l’arrivée sur le marché de la santé, des Institutions de Prévoyances, assureurs et autres bancassureurs , débouchera sur un monopole des plus néfaste pour les assurés sociaux.
Car , comme nombre de marchés, quand on libère la concurrence, on aboutit rapidement à la formation de nouveaux monopoles. Parce que la concurrence coûte cher et n’est souvent pas la façon la plus économique de satisfaire les besoins. Surtout si l’activité est lourde en investissements ou nécessite la mise en place de réserves importantes. Contrairement aux faux espoirs suscités par les idéologues libéraux, la libéralisation des marchés ne résout pas la question de la captation de rentes et de l’engourdissement bureaucratique qui résultent des situations de monopole ou d’oligopole. Ce que le marché ne parvient pas à faire, il faut donc bien l’obtenir par des mécanismes de type politique: cahiers des charges, droit de regard des usagers sur la gestion. Le marché ne permet pas de faire l’économie d’un approfondissement de la démocratie.
La mutualité solidaire d’avant 2002 disposait de tout cela ! La mutualité de 2009 tente d’en garder l’esprit mais dans un cadre réglementaire qui lui interdit de fonctionner comme auparavant. Il n’est donc pas inutile de rappeler ici , quelles sont les différences entre assurances et mutuelles. En bref, « les compagnies d’assurance font commerce de l’aléa de santé, alors que les mutuelles organisent la solidarité entre les individus ». Les assurances pratiquent en effet une sélection des risques (par exemple, en excluant certaines personnes) et de leurs adhérents (en fonction de leurs moyens financiers) et distribuent leurs profits à leurs seuls actionnaires. Ce sont des compagnies commerciales qui se nourrissent de l’inflation des dépenses de protection sociale. Elles sont un des facteurs prépondérants du déficit de la sécurité sociale.
Au contraire, les mutuelles ne sélectionnent pas leurs adhérents sur des critères financiers et elles les accompagnent durant toute leur vie (quel que soit leur état de santé) ; elles réinvestissent leurs excédents dans le domaine sanitaire et social. A travers leurs réseaux d’œuvres sanitaires et sociales, elles sont un des principaux acteurs de la politique de rééquilibrage des dépenses de santé. L’application des directives européennes a conduit à une véritable banalisation entre l’assurance et la mutualité, dont les finalités sont pourtant fort différentes. La concurrence entre les acteurs de complémentaire santé conduira quasi certaine à une situation de quasi monopole.
On connait le résultat d’un tel mouvement qui nous est donné par la situation aux Etats-Unis. Tandis que dans ce pays le Président Obama tente difficilement de mettre en place un système de protection sociale dégagé des mécanismes du marché et des pressions des monopoles, n’est il pas temps de défendre en France notre Sécurité Sociale et les particularités mutualistes ? Nicolas Pomiès |