Un crime qui ne dit pas son nom: par le Docteur Michel LIMOUSIN – UNAM
Imaginez : Une personne arrive dans un service d’urgence.
Elle est visiblement très malade, elle risque de mourir si on ne fait rien.
Ce peut être une maladie chronique qui décompense, une maladie aigüe, un accident ou autre. Il y a une défaillance viscérale : une insuffisance respiratoire grave, une décompensation cardiaque, une défaillance poly-viscérale, un état de choc, une insuffisance rénale aigüe, un coma ou des lésions neurologiques graves.
Un médecin examine le patient et décide de ce qui est le mieux après avoir consulté, s’il en a la possibilité matérielle et le temps, ses confrères.
Plusieurs solutions se présentent : le malade peut bénéficier d’une réanimation lourde ( circulation extracorporelle, rein artificiel, pompe cardiaque ou respirateur artificiel ) et il est admis en réanimation ; le malade ne peut pas pour des raisons médicales qui lui sont propres bénéficier de réanimation et il va en soins intensifs, ou encore en service de médecine ; ou alors tout ceci ne va conduire à rien et on va le mettre en soins palliatifs ou à défaut en service de médecine pour qu’il puisse mourir dans des conditions décentes, sans souffrir et entouré de sa famille si possible.
On ne pratiquera pas de soins déraisonnables et douloureux ni d’acharnement thérapeutique sans issue. Mais en aucun cas il n’est abandonné et laissé dans un coin. C’est le schéma normal : les décisions sont prises au mieux des intérêts du patient par une équipe médicale responsable et dans un cadre éthique et respectueux. Parfois se pose la question du manque de lits de réanimation – trop souvent par les temps qui courent où le flux tendu est devenu la règle des gestionnaires d’hôpital – . Il faut alors choisir qui bénéficiera de quoi. Il est évident qu’on préférera laisser sa chance à un jeune plutôt qu’à un vieillard. Mais jamais de décision médicale qui repose sur des critères systématiques sans rapport avec la situation personnelle du patient.
Regardons ce qui vient de se passer en France dans les Ehpad à l’occasion de la pandémie de Covid 19. Les patients qui ont été infectés par le virus n’ont pas été conduits à l’hôpital. Ils ont été parqués dans un coin de l’établissement pour éviter la contamination des autres pensionnaires. Ils ont bénéficié des soins très limités que pouvaient leur prodiguer les aides-soignantes et les infirmières sur place, non formées aux soins intensifs ni aux soins palliatifs.
Avec un médecin présent de façon intermittente faisant ce qu’il pouvait. Les morts ont commencé à être nombreux. Au début aucune administration ne les comptabilisait. Les familles interdites. La solitude. L’angoisse. Mais dans ces circonstances de manque de lits de réanimation ( pour 100 000 habitants 29,2 lits de réanimation en Allemagne et 11,6 en France), le risque le plus grand est bien une perte de chance de survie. Comme le déclare Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad dans le Journal l’Humanité le 21/04/2020, « Des personnes âgées sont mortes dans des conditions effroyables, faute de médicaments de sédation en quantité suffisante et de matériel pour les aider à respirer... On n’est pas du tout équipé pour gérer des détresses respiratoires, en particulier en grand nombre et sur un temps long. On n’a pas assez de respirateurs, pas assez de réserve d’oxygène, pas de médicaments… ». Non seulement on n’a pas pris les mesures de soins individuels nécessaires mais encore on a contrevenu à toutes les règles de santé publique en laissant ensemble des personnes fragiles infectées et non infectées. Il s’en est suivi une contagion inévitable et une hécatombe. Plusieurs dizaines de morts dans certains établissements. La surmortalité due à l’épidémie de Covid-19 est deux fois plus élevée pour les décès survenus dans les maisons de retraite que dans les hôpitaux ou à domicile. C’est là que le scandale éclate. C’est là que le directeur général de la santé commence à annoncer ces morts en établissements alors que le chiffre de 1500 est déjà atteint. Jusqu’au 26 mars dernier, le bilan quotidien de Santé publique France ne faisait état que des décès enregistrés à l’hôpital de patients testés positifs au coronavirus. Les directeurs de maisons de retraite ne cessaient pourtant d’alerter sur la situation dramatique que vivaient leurs établissements. Jusque là les pouvoirs publics ne parlaient que des morts en service de réanimation. Mais rien ne change sur la politique suivie : on laisse les vieux se contaminer ensemble malgré les maigres mesures d’isolement et on les laisse mourir. Aujourd’hui, on est à plus de 10 000 morts. La mortalité dans les Ehpad a été multipliée par 5,5 depuis le début de l’épidémie.
C’est de l’abandon pur et simple. Bien sûr, toutes ces personnes n’étaient pas éligibles à la réanimation. Mais toutes auraient dû être admises en médecine ou en soins palliatifs. Et n’oublions pas que certaines personnes âgées passées par la réanimation ou les soins intensifs ont pu sortir vivantes. Les télévisions l’ont signalé. C’est à dire que l’espoir n’est jamais perdu en fonction du strict critère de l’âge. Or c’est bien le critère de l’âge qui dans le cas des Ehpad a été retenu.
C’est envoyer à la mort et de façon indigne une catégorie de population. Ceci est un crime.
Les questions qui se posent sont alors les suivantes : Qui a pris cette décision ? Quand ? À quelle occasion ? Est-ce lors des fameux conseils de défense gouvernementaux, sortes de conseils de guerre ? Des médecins ont-ils participé à ces décisions ? Pourquoi cela s’est-il fait secrètement ? Des consignes ont été données aux Ehpad pour ne pas hospitaliser les personnes âgées : qu’en est-il ? Ou alors personne n’a pris de décision et c’est une sorte de mécanisme occulte qui a opéré sans que personne ne s’en rende compte ni n’arrête la machine infernale ?
On dira que de toute façon on n’avait pas le matériel ni les lits. Mais alors qui a décidé ces restrictions budgétaires ? Quand ? Lorsqu’on a supprimé l’EPRRUS, l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires en 2016 ? Lorsqu’on a supprimé tout ces lits d’hôpital ? On se souvient que les fermetures de lits dans les hôpitaux se sont encore poursuivies en 2018, selon une étude de la direction statistique des ministères sociaux publiée en octobre 2019. En 2018, 4172 lits en hospitalisation complète ont été supprimés par Mme Buzin dans les quelque 3000 établissements de santé que compte l’Hexagone. Cela représente une baisse de 1% sur un an et ramène le nombre de lits disponibles à 395693. «Depuis 2013, ce sont 17500 lits d’hospitalisation complète qui ont ainsi été fermés, soit une baisse de 4,2% en cinq ans», souligne la Drees.
Et les propriétaires des Ehpad privés qui font payer très chers leurs maigres prestations ? On sait par exemple que le budget alimentation des pensionnaires est de 3,8 € par jour ! Qu’ont fait les dirigeants durant cette crise ? Le vendredi 28 février 2020 en pleine crise du coronavirus, Sophie Boissard, directrice générale du groupe
Korian, principal opérateur sur ce « marché » s’est penchée sur les résultats annuels 2019 du groupe sur BFM Business ; ceux-ci sont florissants. Les actionnaires étaient contents.
Si on avait prévenu les familles de cette politique, peut-être auraient-elles pour certaines d’entre-elles sorti leurs personnes âgées de ce piège. On dirait une sorte d’omerta qui s’est abattue sur notre pays. Même Philippe Juvin, élu LR, le reconnait dans Le Monde du 29 avril 2020 « La question des personnes âgées a été une faillite dans cette crise du coronavirus. Leur prise en charge a malheureusement été une variable d’ajustement face à la pénurie. Un tel scandale ne doit plus se reproduire. »
Il reste à la justice et à ceux qui sont chargés de contrôler le gouvernement de se prononcer.